Le Réseau d’Études Pluridisciplinaires sur les Paternités et les Maternités (RePPaMa) organise une journée d’étude intitulée « Naissances : de la procréation aux premiers mois de vie »  qui aura lieu au Centre de colloques du Campus Condorcet à Aubervilliers le mercredi 7 décembre 2022.

Les propositions sont à envoyer au plus tard le jeudi 23 juin 2022 (appel prolongé).

Si les étapes liées à la procréation et l’arrivée des enfants font l’objet de nombreux travaux en sciences humaines et sociales, ces recherches restent fragmentées entre thématiques et champs disciplinaires. Par cette journée, le réseau RePPaMa propose un espace de dialogue interdisciplinaire afin de penser les naissances en tant qu’objet d’étude. La naissance est ici comprise non comme événement ponctuel mais en tant que processus (Charrier et Clavandier, 2013), allant de la gestion de la procréation aux pratiques parentales pendant les premiers mois du nouveau-né, en passant par l’expérience de la grossesse et de l’accouchement. 

Sont bienvenues toutes propositions de chercheur·euses en sciences humaines (sociologie, démographie, histoire, anthropologie, géographie, économie, épidémiologie, etc.) portant sur des thématiques en lien avec la procréation, les grossesses (poursuivies ou interrompues), l’accouchement et les premiers mois de vie du nourrisson. Trois axes principaux de réflexion sont privilégiés.

1)     Aux origines : gestion de la procréation et projets familiaux

Ce premier axe interroge la formation, la conception, la réalisation, le refus ou le renoncement à des projets parentaux. Ces derniers sont tributaires de contextes historiques, économiques et politiques variés. Depuis la fin du XIXème siècle, les gouvernements européens mettent en place des instruments de contrôle des naissances, soit pour les inciter, soit pour les limiter (Charrier et Clavandier, 2013). L’intervention étatique régule l’accès à une descendance, suivant des dimensions sociales, sexuelles et raciales (Hugon, 2020 ; Quiroz, 2022). Ainsi, si la France s’est démarquée par ses politiques natalistes en métropole, l’action publique a au contraire visé à réduire la fécondité en Outre-mer dans les années 1960-1970 (Paris, 2020). Plus récemment, les nouvelles techniques reproductives élargissent les voies d’entrée dans la parentalité mais questionnent le « droit d’accès à la famille» (Roux et Vozari, 2020, p.7) et la reconnaissance des configurations familiales ne correspondant pas au couple parental hétérosexuel. À titre d’exemple, la gestation pour autrui (GPA), prohibée dans l’Hexagone, confronte les futurs parents à une légitimation de leurs pratiques, prise entre injonctions éthiques, morales et politiques (Courduriès, 2016). Comment cette régulation des naissances a-t-elle évolué au fil des époques en fonction des normes sociales, politiques ou religieuses ? Comment les politiques publiques influencent-elles les dynamiques familiales ? En dehors du contexte politique, d’autres facteurs macrosociologiques se répercutent sur la fécondité, tels que le parcours migratoire (Davie et Mazuy, 2010), les guerres (Virgili, 2009), les crises économiques (Pison, 2013), écologiques ou sanitaires, dont la pandémie de la COVID-19 constitue l’exemple le plus récent (Breton et al., 2022). Comment ces changements dans l’organisation du monde social et dans les trajectoires personnelles modulent les intentions de fécondité et les parcours de parentalité ?

 À l’échelle des comportements et des pratiques, si le contrôle des naissances est une pratique ancienne (Brée, 2017), l’accès à la contraception, suite à la loi Neuwirth en France, change les représentations vis-à-vis des grossesses, désormais majoritairement planifiées. L’enfant est celui du désir (Leridon, 1995), et les parents choisissent le « bon moment » pour en avoir (Régnier-Loilier et Solaz, 2010 ; Mazuy, 2009). Des conditions socialement établies se doivent d’être rassemblées pour répondre à la norme procréative (Bajos et Ferrand, 2006) : un certain âge, une relation (hétéro)conjugale, une situation professionnelle stable. Or, ces conditions apparaissent de plus en plus difficiles à réunir aujourd’hui. L’allongement des études et les difficultés d’insertion dans un emploi viennent questionner le « bon âge » d’entrée dans la parentalité (Bessin et Levilain, 2012 ; Compans, 2021 ; Gaide, 2018). D’autre part, les modèles familiaux se pluralisent : les mères « en dehors » des cadres conjugaux (Gomez, 2013 ; Melh, 2016), les familles homoparentales (Courduriès, 2006 ; Descoutures, 2010) et recomposées (Damon, 2012), tout à la fois actualisent et interrogent les conditions de l’encadrement social du devenir parent. La maîtrise des naissances donne également la possibilité de rester volontairement sans enfant, bien que ce refus reste minoritaire (Debest, 2014 ; Debest et Mazuy, 2014 ; Gotman, 2017). Ainsi, le couple nucléaire hétérosexuel ne revêt plus un caractère d’évidence, et il existe différents moyens de « faire couple » et de fonder une famille. Quels rapports sociaux se jouent dans la construction même du (non) « désir d’enfant » (Delphy, 2002) et des projets d’enfanter ? Comment évoluent ou se redéfinissent les « bonnes » conditions d’entrée dans la parentalité selon les caractéristiques sociales et les histoires familiales ? Les familles qui s’émancipent des normes reproduisent-elles certaines composantes normatives, ou au contraire, aménagent-elles des espaces de résistance ? 

2)     L’encadrement des grossesses, entre normes et appropriations plurielles

Sages-femmes, matrones, grands-mères, doulas, médecins… nombre sont les acteurs et actrices qui accompagnent les femmes enceintes à travers les époques et les sociétés. En France, à partir des années 1950, la norme de l’accouchement à domicile (Brée, 2016) s’efface au profit des naissances en maternités hospitalières. De ce « grand déménagement » (Knibiehler, 2016) émerge un contrôle des corps féminins, oscillant entre surveillance et protection (Cahen, 2014). Prise en charge par des professions de plus en plus institutionnalisées (Sage-Pranchère, 2007), la mise au monde est aujourd’hui médicalisée et technicisée. L’avènement de l’échographie a influencé les perceptions à l’égard des fœtus, désormais institués comme des sujets (Morgan et Michaels, 1999 ; Gagnon, 2019), dont les femmes enceintes sont responsables. Dès lors, la vigilance est de tous les instants : les futures mères rencontrent de nombreuses prescriptions et proscriptions qui peuvent concerner leur alimentation, leur activité physique et professionnelle, etc., dépassant le simple domaine médical (Boulet, 2021). Le « travail procréatif » (Hertzog et Mathieu, 2021), à la fois physique, symbolique et émotionnel, est particulièrement fort en cas de recours à la procréation médicalement assistée où consultations répétées, entretiens psychologiques et stimulations ovariennes ponctuent le quotidien (Hertzog, 2017 ; Löwy, 2006). Il recouvre aussi l’avortement (Azcué et Mathieu, 2017 ; Tatoueix, 2018), traversé par une médicalisation des corps qui impacte différentes sphères de la vie (Thizy, 2021). En quoi la grossesse fait-elle évènement ? Quels rites et pratiques l’accompagnent ? Qui est impliqué ? Comment vient-elle reconfigurer la vie quotidienne des femmes enceintes (Berthiaud, 2013) ? Quelles injonctions, au-delà des recommandations médicales, s’imposent aux mères en devenir ? 

Outre les dimensions historiques et géographiques, l’expérience des grossesses est contrastée à travers l’espace social (Fuchs, 1992). Leur encadrement ne s’exerce pas et n’est pas intériorisé de la même manière par toutes et tous. Par exemple, les catégories populaires, qui se montrent plus distantes vis-à-vis des injonctions médicales (Boulet, 2018), sont aussi la cible de « prévention », d’un « soutien », voire d’une « surveillance » particulièrement accrue (Cardi, 2007). D’autre part, la médicalisation de l’accouchement, point culminant de l’expérience de la grossesse (Jacques, 2007), est remise en cause en Europe depuis les années 1970-1980 par l’émergence d’une pluralité des modèles du naître, notamment à travers l’accouchement à domicile (Pruvost, 2018 ; Morel, 2018) ou naturel, aussi appelé « accouchement actif » ou « humanisé » (Quagliariello et Ruault, 2017). Comment l’expérience des grossesses varie-t-elle selon les caractéristiques sociales ? Quel type d’accouchement est préconisé ou favorisé ? Quelles formes de contestations et de (ré)appropriations de cet évènement peuvent être observées ? Par ailleurs, alors que l’objet du contrôle est bien le corps des mères, quelle place joue leur entourage et notamment les pères dans cet encadrement selon les contextes et époques ?

3)     Premiers contacts : discours et pratiques autour de l’accueil du nourrisson

         Ce troisième axe porte sur les discours et pratiques qui entourent l’accueil du nourrisson selon les contextes, depuis la grossesse jusqu’aux premiers mois de vie. Avec l’évolution du statut de l’embryon et du fœtus au cours du dernier siècle, les enfants à venir sont considérés comme des personnes singulières de plus en plus tôt et l’organisation de leur arrivée intervient de plus en plus précocement (Jacques, 2007). La sexuation du fœtus (Larrieu, 2021) ou la sélection du prénom (Coulmont, 2022), par exemple, marquent les débuts du processus d’individualisation de l’enfant, en lui attribuant une identité sociale des mois avant sa mise au monde. Les préparatifs sont aussi d’ordre matériel, notamment autour de la réorganisation du logement, la décoration de la chambre, la constitution du trousseau de naissance, ou encore l’acquisition des divers équipements (Pélage et al., 2016). Les pratiques diffèrent selon les caractéristiques sociales des parents (Gojard, 2010 ; Pape, 2009), mais aussi selon le sexe de l’enfant ou sa place dans la fratrie (Clément et al., 2019). Quels sont les rites et pratiques qui peuvent être associés à l’attente d’un enfant ? Comment les parents (se) préparent-ils ou non (à) l’arrivée du nouveau-né, et dans quelles temporalités ? 

         À son arrivée, le nourrisson est perçu comme « à risque » (Charrier et Clavandier, 2013). La priorisation tardive de « l’intérêt de l’enfant » dans les politiques publiques (Dessertine, 1999 ; Neyrand, 2010) et la médicalisation de la période périnatale s’accompagnent d’un lot de prescriptions sur les pratiques parentales à adopter autour de l’alimentation, du sommeil, de la gestion des pleurs, etc. La définition de ces « bonnes  pratiques » varient largement en fonction des contextes géographiques, historiques et sociaux (Bril et Parrat-Dayan, 2008 ; de Parseval et Lallemand, 1998). Récemment, des considérations écologiques peuvent venir encadrer la prise en charge des soins (Bailly, Daniel et Barbier, 2020). Cet ensemble d’injonctions demande un large investissement de temps, d’argent et d’énergie qui pèse d’abord et avant tout sur les mères (Gojard, 2010), mais l’idéal contemporain de coparentalité crée aussi des attentes vis-à-vis des pères (De Ridder, Céroux et Bigot, 2004). Quelles formes prennent ces recommandations selon les contextes sociaux, géographiques et historiques ? Par quels acteurs et actrices sont-elles portées et comment sont-elles reçues, en particulier par les mères et les pères ?        

 L’arrivée d’un enfant nécessite de réfléchir à des arrangements entre famille et travail (Pailhé et Solaz, 2009) et des modes de garde pour l’accueillir, qui s’anticipent parfois plusieurs mois avant l’accouchement. Les parents manifestent des attentes socialement situées concernant le mode de garde (Cartier et al., 2017), inscrites dans une logique de don et de dette temporelle entre les générations arrimée à l’idéal normatif de disponibilité maternelle (Bloch et Buisson, 1998). La question de la mise en nourrice, âprement débattue au XIXème siècle, montre qu’il ne s’agit pas d’un enjeu nouveau (Rollet, 1982). Lorsque le bébé n’a que quelques mois, quels sont les modes de garde jugés les plus adéquats selon les contextes et comment ces préférences s’articulent-elles avec les normes de « bonne » parentalité ? Aujourd’hui, comment les familles qui ne correspondent pas au modèle du couple parental de sexe différents, comme les mères seules ou les familles homoparentales, s’organisent-elles concrètement pour accueillir l’enfant dans le cadre hétéronormatif des politiques de congé ? 

         Les normes prescrites, intériorisées et les pratiques varient bien évidemment en fonction des caractéristiques sociales des parents et de celles de l’enfant. Seront ainsi particulièrement appréciées les communications qui prennent en compte et articulent les différents rapports sociaux (genre, classe, handicap, race, âge, etc.) dans leurs analyses.

Modalités de participation

Ces questions ne sont bien sûr que des pistes de réflexion. Toute communication de sciences humaines et sociales liée à l’arrivée des enfants et à l’une ou l’autre des étapes du parcours de naissance est la bienvenue.

La journée d’étude se déroulera le 7 décembre au centre des colloques du campus Condorcet (Aubervilliers). 

Les propositions sont à envoyer au plus tard le jeudi 23 juin 2022.  

Si vous souhaitez intervenir, merci d’envoyer à l’adresse du RePPaMa (reppama.contact@gmail.com) une proposition d’environ une page (4000 signes maximum, espaces compris), au format Word, OpenOffice ou pdf (intitulée Naissances_Prénom Nom_Titre de la communication). Elle devra présenter un titre, le cadre théorique, la ou les question(s) de recherche, le matériau mobilisé, éventuellement quelques premières pistes d’analyse, et les principales références bibliographiques.  Les propositions en français et en anglais sont acceptées.  

Comité d’organisation (les coordinatrice·eurs du RePPaMa)

Margot Lenouvel (Sorbonne Université, Ined), Alix Sponton (Sciences Po, Ined), Inès Anrich (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CRHXIX), Myriam Chatot (Paris Dauphine, Irisso), Mike Marchal (EHESS, IRIS), Alexandra Piesen (Université de Paris-CERLIS), Marine Quennehen (Cresppa-CSU, Printemps), MarieCaroline Compans (Ined, Paris 1-CRIDUP), Anaïs Mary (Université de Paris-CERLIS), Zoé Yadan (Université de Paris-CERLIS).

Journée d’étude organisée avec le soutien financier de la Cité du Genre, IdEx Université de Paris, ANR-18-IDEX-0001  

Bibliographie

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