REPPAMA

Nous avons le plaisir de vous communiquer en pièce jointe l’appel à communication de notre prochain cycle de journées d’études « Santé mentale et parentalité : Perspectives croisées en sciences humaines et sociales », qui se tiendra les 10 et 11 juin 2025 à la MSH Paris Nord.

Au croisement des politiques sociales, familiales et sanitaires, prendre soin de la santé mentale des parents tend aujourd’hui à être saisi comme un moyen privilégié de garantir la qualité et la pérennité des relations intrafamiliales, de favoriser le développement des enfants, et par là d’éviter de nombreux problèmes sociaux. Si l’exercice de la fonction parentale constitue un problème public déjà ancien (Martin, 2014), la problématisation de la parentalité emprunte dorénavant une voie nouvelle : celle de la souffrance psychique. « Burn-out parental », « dépression du post-partum » (pour les mères), « dépression post-natale » (pour les pères), « deuil parental », « suicide maternel », « regret maternel » (Donath, 2017), sont autant de catégories, émergentes ou stabilisées, participant à faire de l’expérience subjective douloureuse de la parentalité un domaine d’intervention des politiques publiques. Quels sont les ressorts sociaux, historiques et politiques qui encadrent cette préoccupation pour la santé mentale des parents ? En quoi les discours et les pratiques relatives aux maux de la parentalité participent à un gouvernement des familles ? Quelles appropriations, négociations ou résistances en font les pères et les mères ?

Alors que l’anthropologie, l’histoire et la sociologie ont déjà largement montré le poids des instances et des processus sociaux qui définissent, régulent, légitiment et produisent les agencements intimes, force est de constater que les souffrances parentales restent majoritairement l’objet d’étude et d’intervention des expert·es du psychisme (psychiatres, psychologues, psychanalystes, etc.). Pour autant, les sciences humaines et sociales n’auraient-elles rien à en dire ? 

Pour répondre à ces questions, le Réseau d’Études Pluridisciplinaires sur les Paternités et les Maternités (RePPaMa) organise deux journées d’études les 10 et 11 juin 2025 à la MSH Paris Nord. L’objectif est d’explorer les souffrances parentales à travers l’analyse des discours et pratiques des institutions et des professionnel·les en charge de leur traitement, et les expériences que les parents, voire les enfants et autres membres de la famille en font. Sont bienvenues toutes propositions de chercheur·es en sciences humaines et sociales qui pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des trois axes suivants.

1. Dire la santé mentale des mères et des pères

Que sait-on de la genèse, des controverses et des usages des mots employés pour dire la santé mentale des parents et en particulier ses « dysfonctionnements » ? Ce premier axe interroge les dynamiques socio-historiques qui ont conduit à l’émergence de la santé mentale parentale comme un enjeu d’intérêt public. Il s’intéresse aux processus sociaux et politiques qui soutiennent le développement des savoirs et des pratiques expertes en la matière, tels que la dynamique des professions, la construction d’un problème public, et l’extension de l’intérêt de la maternité à d’autres questions comme la paternité. Comment se sont construites et évoluent les catégories conduisant à la pathologisation de certaines formes de paternité et de maternité ? Quelles normes participent à la production sociale de « déviances émotionnelles » (Thoits, 1990) parentales ? 

Cette prise en charge institutionnelle et politique de la santé mentale passe aussi par son objectivation. La santé mentale des mères durant le post-partum est mesurée à partir d’échelles : l’enquête nationale périnatale de 2021 (Inserm-Dress), entre autres, utilise l’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) pour définir le risque de dépression des mères. Sur quels indices cliniques et/ou outils d’évaluation se fonde la caractérisation du mal-être parental ? 

Dans la genèse de ses catégories, le genre constitue un facteur clé. Ce sont prioritairement certains affects maternels et figures de mères qui sont considérées comme déviantes (Ripa, 1986) : filles-mères (Rivière, 2012), mères immorales, mère mortifère. Comment les rapports sociaux, et en particulier l’ordre du genre, façonnent-ils la caractérisation différenciée du mal-être des mères et des pères ?

2. Prendre soin de la santé mentale des parents, un travail d’institution(s)

À l’instar de la « famille pathogène » d’hier (Castel, 1973 ; 1981), la parentalité offre aujourd’hui un large espace d’investissement professionnel qu’occupent « nombre de psychologues, médecins, psychiatres, psychanalystes, et plus largement tous·tes celleux que l’on pourrait qualifier, avec Robert Castel, de “thérapeutes pour les normaux” » (Martin, 2014, p. 10). En dépit de leur diversité, ces acteur·ices s’approprient ces savoirs à des fins communes : procéder à l’évaluation des compétences parentales, qualifier le caractère « sain » ou « pathologique » d’un environnement familial donné, et « normaliser » le comportement parental. Dans ce cadre, de nouveaux dispositifs publics et privés voient le jour pour soutenir, accompagner et soigner les parents dont la santé mentale peut être fragilisée par les responsabilités de leur rôle ou des événements biographiques (maladie, deuil, séparation, etc.). Comment ces différentes modalités d’intervention ont-elles émergées et se sont-elles recomposées ? Les questions soulevées dans cet axe ont pour but d’examiner le travail des acteur·ices participant à administrer l’expérience subjective de la parentalité, et plus largement, à considérer les pratiques professionnelles et le « travail d’institution » (Bourdieu, 1993) de la famille auquel elles participent.

Le « champ d’intervention professionnelle » (Morel, 2010) de la parentalité mobilise des agent·es aux formations, positions sociales et domaines d’activité différents (à titre d’exemples, on peut citer la prise en charge de la jeunesse délinquante, la protection de la jeunesse en danger, la réglementation de l’adoption, l’encadrement social et sanitaire de la procréation médicalement assistée et des gestations, ou encore le traitement des séparations conjugales). Comment les savoirs relatifs à la santé mentale des parents circulent-ils dans ce vaste champ ? L’attention portée au « bien-être » parental et la « promesse du bonheur » (Ahmed, 2010) familial participent également au développement d’un marché en plein essor (coaching, formations, publications d’ouvrages, de manuels, etc.), où exercent des femmes aux certifications souvent peu reconnues (doulas, accompagnante parentale, coach en parentalité positive, etc.). Comment ces travailleur·euses s’approprient-iels les savoirs experts, à quelles fins et avec quels effets ? Ces pratiques conduisent-elles à perpétuer ou, au contraire, à reconfigurer l’ordre sexué de la parentalité ? Enfin, qu’elles soient marchandes ou institutionnelles, comment les rapports sociaux de classe, de genre et de race façonnent-ils ces prises en charge ?

3. Éprouver les souffrances parentales

Pour finir, le dernier axe s’intéresse au vécu des parents (entendus au sens élargi) et au travail émotionnel (Hochschild, 2003) qu’iels fournissent. Il se penche sur les façons dont ces dernier·es gèrent, en fonction de leurs propriétés sociales, leur distance au « script émotionnel » (Hochschild, 2017) de la parentalité (épanouissement, amour, bonheur) (Guy et Vozari, 2019) et leurs expériences malheureuses. Dans quelle mesure mobilisent-iels les catégories en circulation pour donner sens à leur vécu ? Comment l’expérience subjective douloureuse de la parentalité façonne-t-elle leurs aspirations et leurs trajectoires parentales ? Quelles sont les ressources ou stratégies que les parents mobilisent pour éviter d’être « discrédité·es » (Goffman, 1975) par les professionnel·les, les institutions, mais aussi par leurs proches ? 

Les difficultés liées à la santé mentale peuvent aussi faire l’objet d’une politisation de la part des pères et des mères. Le fait d’être étiqueté·e comme parent « déviant » est susceptible d’engendrer des formes de résistances visant à reconnaître leur légitimité, notamment à travers l’usage de notions comme celles de « charge mentale » ou de « burn-out parental ». Une attention particulière sera accordée à ces formes de mobilisations, qu’elles soient individuelles ou collectives.

Modalités de participation  Ces questions ne sont que des pistes de réflexion. Les communications proposées pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes envisagés, sans nécessairement s’y restreindre. Les propositions sont à envoyer au plus tard le lundi 24 février 2025.  Merci d’envoyer à l’adresse du réseau [reppama.contact@gmail.com] une proposition d’environ une page [4000 signes maximum espaces compris], au format Word, OpenOffice ou pdf, intitulée SMP_Prénom Nom_Titre de la communication. Elle présentera un titre, le cadre théorique, la ou les question(s) de recherche, le matériau mobilisé, quelques premières pistes d’analyse et les principales références bibliographiques. Les textes en français et en anglais sont acceptés.

Comité d’organisation

• Anne-Sophie Vozari (post-doctorante en sociologie, Inserm – IRIS)
• Ingrid Boccon-Gibod (doctorante en droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – IRJS)
• Chloé Buton (doctorante en histoire, UPEC – CRHEC)
• Chloë Cottrell (docteure en civilisation britannique, UPEC – IMAGER)
• Margot Lenouvel (doctorante en sociologie, Ined – Sorbonne Université)
• Mike Marchal (doctorant en sociologie, EHESS –  Iris)
• Marine Quennehen (post-doctorante en sociologie, UCL – FNRS –  CIRFASE

(Avec le soutien financier de la MSH)

Bibliographie indicative

Ahmed Sara, The Promise of Happiness, Durham, Duke University Press, 2010.

Bourdieu Pierre, « À propos de la famille comme catégorie réalisée », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 100, n° 5, 1993, p. 32-36.

Castel Robert, Le Psychanalysme, Paris, Maspéro, 1973.

Castel Robert, La Gestion des risques. De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse, Paris, Éditions de Minuit, 1981.

Donath Orna, « “Je n’aurais pas dû avoir d’enfants…” : une analyse sociopolitique du regret maternel », Sociologie et sociétés, vol.1, n°49, 2017, p. 179–201. 

Goffman Erving, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.

Guy Déborah et Anne-Sophie Vozari, « “Je vois ce bébé et là, rien !” L’encadrement des sentiments maternels autour de la naissance », Sextant, vol. 36, 2019, p. 91-111.

Hochschild Arlie R., « Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale », Travailler, vol. 1, n° 9, 2003, p. 19-49.

Hochschild Arlie R., Le prix des sentiments. Au cœur du travail émotionnel, Paris, La Découverte, 2017.

Martin Claude, « “Mais que font les parents ?” Construction d’un problème public », in Claude Martin (dir.), « Être un bon parent » : une injonction contemporaine, Rennes, Presses de l’EHESP, 2014, p. 9-28.

Morel Stanislas, L’échec scolaire en France (1960-2010). Sociologie d’un champ d’intervention professionnelle, Thèse de sociologie EHESS, 2010.

Ripa Yannick, La Ronde des folles : femmes, folie et enfermement au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1986.

Rivière Antoine, La misère et la faute : abandon d’enfants et mères abandonneuses à Paris (1876-1923), Thèse d’histoire contemporaine, Paris-Sorbonne, 2012.

Thoits Peggy A., “Emotional Deviance: Research Agendas”, in T.D. Kemper (dir.), Research Agendas in the Sociology of Emotions, 1990.